Un professeur et ses élèves

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Maurice MARLAND a été professeur d'Anglais, de Français et d'Instruction civique à l'École Primaire Supérieure dé Granville. Il était le type même de ces enseignants formés dans les Écoles Normales de la République (supprimées par Pétain en 1940). 

Maurice MARLAND est né le 12 Février 1888, à Falaise. En 1905, il entre à l'École Normale d'Instituteurs de Caen. Reçu en 1908, il débute en 1909 à Caen. Libéré du service militaire, il est nommé à St Hilaire du Harcouët où il exerce jusqu'en 1914. Engagé volontaire le 22 Août 1914," il est blessé au combat à Tailly (Meuse) le 31 Août. Démobilisé le 15 Mai 1919, il fait un court passage à Périers avant de rejoindre Granville où il exercera jusqu'à sa mort à l'École Primaire Supérieure.

Les témoignages de ses anciens élèves nous présentent Maurice MARLAND comme un homme à l'allure jeune, toujours bien mis, portant chapeau mou ou canotier selon la saison, lunettes d'écaille et noeud papillon. L'élégance de sa tenue étant en parfaite harmonie avec l'aisance de son discours. C'était un homme distingué qui parlait bien mais qui savait rester simple et aimable.

Ses élèves ont gardé de lui le souvenir d'un très bon professeur, exigeant certes, mais remarquable par sa disponibilité et son dynamisme. Il émaillait ses cours d'anecdotes et son talent de conteur faisait qu'il était souvent sollicité pour raconter une histoire en récompense du travail fourni. Parmi ces "histoires", ses élèves se souviennent de l'affaire Dreyfus ou du siège de Granville. Maurice MARLAND était pour ses élèves un éducateur autant qu'un enseignant. Tout son enseignement reposait sur l'honneur et le civisme. Les allusions et les digressions qu'il faisait pendant ses cours avaient souvent une implication morale.

 

 

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Ecole primaire supérieure de Granville


Professeur de français, d’instruction civique et morale, et d’anglais, Maurice Marland impressionne encore par une pédagogie dont la modernité et l’anticonformisme tiennent, sans doute, à l’étendue de sa culture, à la richesse et la diversité des ouvrages réunis dans sa bibliothèque ... Délaissant habituellement l'estrade, parcourant la classe de long en large les mains tenues derrière le dos, il rompt avec cette posture  pour appuyer du geste de fortes et péremptoires affirmations: « Feu de Zeus... l’opinion publique est une bourrique obtuse , je m’assois dessus .... les foules sont bêtes et  méchantes, fuyez les ». Les thèmes des compositions françaises  témoignent de la volonté  du maître de former des esprits critiques préparés à assumer des responsabilités individuelles et collectives au sein de la cité. Mais quelque soit sa disponibilité à n'écarter aucune question, le cours doit être porté à son terme avant qu'il ne cède, volontiers, aux pressantes sollicitations des élèves toujours en l’attente de le voir déployer son talent de conteur. L'auditoire est, alors, sous le charme, saisi par autant de digressions plaisantes et d’allusions subtiles; références faites aux écrivains et aux poètes, histoire moderne et plus ancienne rapportée avec rigueur et précision, le monde s'ouvre dans sa diversité et sa complexité.

En langue anglaise, le conteur transporte encore l’auditoire au pays de Balou, le vieil ours débonnaire et de Bagheera, la noire et persuasive panthère. Mowgli surgit, parmi les loups, au détour de paysages familiers dans ces Indes lointaines; l'auteur du Livre de la Jungle y a planté le décor de cette fable coloniale dont le sens atteste que la recherche de la paix se paye, le plus souvent,  au prix de la violence. Sans doute l'insatiable curiosité de Kipling pour la jeunesse et son intransigeance morale  ont-elles séduit le jeune enseignant déjà disposé au commentaire philosophique. Cultivant à la fois conviction et distance, il transparaît dans un précepte favori tout empreint d'humour britannique :« Be strong and play the man » (« soit fort et ne prend pas le bonhomme au sérieux »). Et quand il n’use point aussi du crayon pour dessiner habilement quelque objet et en faire rechercher la dénomination anglaise, il entraîne les adolescents  à trouver et poser leur voix en entonnant :

      "Its a long way to Tiperary, It’s a long way to go"

et plus bas, peut-être, par les heures courantes, le « God save the King » (Il demande, aussi, à l'accordéoniste Titi Bedfer d'interpréter  l'hymne britannique  en sourdine,  le samedi soir, dans salles de bal ). Ainsi, les élèves de l’École Supérieure et Professionnelle devenue Collège, en 1943, seront en mesure de converser presque fluently avec les premiers soldats américains à leur arrivée à Granville. Quelques autres adultes et parents le seront aussi, pour avoir suivi ses cours d’anglais, tous les jeudi soir, au patronage laïque dont il rédige les statuts en 1931.    

La foi du professeur, la foi en l’homme s’accomplit dans la charge d’élever ses élèves à la culture étendue à la vie ordinaire ; elle emprunte d’autres voies encore lorsqu’il entraîne ses élèves pour jouer au football sur le terrain situé sur le Roc. Sur le chemin, il  les dispose à l’art de considérer le beau sexe  qu’il affectionne singulièrement ; aux femmes qu’ils croisent, il adresse un compliment dont l’élégance et la subtilité enchantent les jeunes galants. Complicité et affection certaines de l’humaniste spontanément porté par la conviction qu’il n’y a pas de mauvais élèves, que l’honneur d’un maître tient au refus de distinguer entre tous, de ne pas cultiver la compétition et la concurrence, de réserver encore plus d’attention à ceux que les moyens modestes de leur familles disposent moins à la réussite.  

Aussi, chacun d’eux s’applique même à lui plaire sans complaisance ni affectation. La meilleure récompense vient à la récréation, lorsqu'il passe, presque paternellement, son bras sur les jeunes épaules pour quelques remarques ou encouragements accordés aux préceptes moraux du poème de  Rudyard Kipling, You will be a man my son:  « Si tu peux être fort sans cesser d'être tendre... Rêver sans laisser le rêve être ton maître... Penser sans n'être qu'un penseur... Si tu peux être brave sans jamais être imprudent....Tu seras un homme mon fils ».. Mais le maître est tout aussi rigoureux et vigoureux même  vis-à-vis de celui qui se permet, un jour, de lire le Miroir des Sports posé sur ces genoux pendant la leçon. Quatre vingt ans plus tard, le coupable, pourtant fils d'une famille amie, se souvient encore du coup de pied aux fesses qui le propulse sur le bitume de la cour. Et l'auteur de la botte de rentrer en classe  et ponctuer, à l'adresse des candidats: « qui aime bien, châtie bien ».  

Ainsi tous ceux qui avaient réussi dans la vie, et les autres moins heureux et plus modestes, pouvaient rendre visite à leur professeur, à celui qu’ils n’oubliaient pas, à celui qu’ils ne pouvaient oublier. Rencontres presque intimes dans l’ombre de son bureau continuant la complicité de moments inoubliables. Ce jour-là l'inspecteur survient dans la classe, le professeur rompt soudain avec l’enseignement du jour et  entreprend de traiter un sujet d'élection propice à exposer sa verve et l’étendue de sa culture L’inspecteur séduit ne retient pas  ses éloges, la porte à peine refermée l'acteur gagne, pour une fois, l'estrade et reprend imperturbablement : « je disais donc, messieurs... ». 

Extrait de l'article de Yann Le Pennec : [Maurice Marland :l'homme, le professeur, le résistant


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    Rédaction donnée par Maurice Marland à ses élèves en octobre 1940 "Racontez très sincèrement la scène de guerre qui vous a laissé la plus vive émotion. Dîtes vos impressions à ce sujet" et Correction du devoir donné par Maurice Marland  (Document fourni par un ancien élève de M.Marland)

 


Arrêté par deux Felgendarmes, le 18 Juin 1943, Maurice MARLAND a profondément marqué ses élèves présents, en leur adressant quelques mots de réconfort qui se terminèrent par une discrète évocation de la patrie. Dans ces circonstances tristes et lourdes de conséquences pour lui, il est resté un professeur qui montre l'exemple de la dignité du courage et du civisme.

En dehors des cours, lMaurice MARRLAND restait un homme ouvert. Ses élèves et ses anciens élèves n'hésitaient pas à aller le consulter lorsqu'ils avaient des problèmes car ils savaient trouver auprès de lui conseil et aide.

Le contenu de son enseignement, l'admiration, la confiance qu'il inspirait et le climat de solidarité, de respect mutuel qu'il avait su établir expliquent que certains élèves aient rejoint Maurice MARLAND dans ses activités de Résistance.

 

 

 

 

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