Résister

Le 17 Juin 1940, les premières estafettes allemandes atteignaient GRANVILLE. Un mois à peine après l'offensive lancée par Hitler contre la France et la Belgique. Que faire quand tout s'écroule autour de vous?

"Be strong and play the man" avait coutume de dire à ses élèves M. MARLAND. 

Calmement, sereinement, M. MARLAND ne se résigne pas après la défaite de nos armées. Là où il est - dans un port proche des îles Anglo-normandes encore libres - avec pour appui ceux dont il a su depuis longtemps gagner la confiance, notamment des marins-pêcheurs, il emploie son énergie à l'évacuation de soldats anglais en même temps qu'à l'évasion de jeunes français désireux de rejoindre le général de GAULLE. Rapidement cela devient impossible par Granville. Jersey est occupé le 29 Juin. Probablement M. MARLAND a-t-il noué des liens avec certains Anglais évacués, et particulièrement avec le capitaine Stanley que nous retrouverons. Peut-être a-t-il renoué contact avec des connaissances anglaises d'avant-guerre comme Sir Philip Nichols, fonctionnaire au Foreign Office.

Marlandlivre

 

Memorandum

Témoignage du Capitaine britannique Margry


Le 10 juin 1940, j'ai quitté l'ambassade de Grande-Bretagne, et je suis partie avec la compagnie du canal de Suez pour Granville, où ils avaient installé une "antenne".  Je devais agir en tant que"agent de liaison" entre la compagnie et le"Foreign Office" (bureau des Affaires étrangères). Nous sommes arrivés à Granville le 11 juin 1940 et le 18,  les Allemands ont occupé la ville. 

Le  professeur M. Marland a montré un grand courage dès l'arrivée des Allemands dans la ville.  52 soldats britanniques y étaient arrivés à pied après la bataille de Saint-Valéry, s'étant procuré des vêtements ça et là chez des agriculteurs français. Mr MARLAND a sympathisé avec eux, les acachés en ville et a essayé de convaincre les pêcheurs de les emmener aux îles Chausey, sur la route de Jersey. Au début, ils ont refusé car les allemands occupaient des baraquements au dessus du port, mais ils ont fini par accepter le risque de prendre la mer de nuit. Lorsque je suisallée le voir, le lundi 24 juin, M. Marland avait fait rapatrier 50 d'entre eux et projetait de faire partir les deux qui restaient avec plusieurs français, dont des soldats de la Marine, qui voulaient rejoindre De Gaulle. Nous nous sommes tous cachés dans la maison des pêcheurs et nous sommes partis après minuit pour les îles Chausey. Nous sommes arrivés à Jersey le Mercredi 26 juin, dans la soirée, et à Southampton le 27.

M. Marland m'a donné des informations quant aux mouvements des troupes allemandes, aérodro-mes, etc..., et m'a demandé de les communiquer rapidement aux autorités. En arrivant à Jersey, j'ai pu téléphoner au 'Treasury'. et parler à Mr Waley qui a lui même transmis les informations au ministre de  l'Armée de l'Air. M. Marland m'a également demandé de faire savoir ce qu'il faisait à M. Philip Nichols, du  Foreign Office, et d’ajouter qu’il ne craignait pas d’être tué par les Allemands, s’il pouvait servir la cause. »

 

Toujours est-il qu'il entreprend très tôt une action de plus longue haleine. Un de ses anciens élèves témoigne :

  "J'ignorais tout de ses activités, et lorsque je lui ai demandé s'il fallait "passer" en Angleterre (...), il me répondit en substance qu'il pouvait y avoir quelque chose à faire en restant en France: ce que j'observerai, et ce que mon père observera en sillonnant la campagne puisqu'il avait un ausweis (laissez-passer) qui lui permettait de circuler la nuit et était inspecteur des douanes, au port de Granville, je pouvais le lui transmettre et surtout à ses messagères Juliette Daumel, épicière rue des Juifs, et Marie Legerrier, le bureau de tabac de la Haute- Ville".

  M. MARLAND constitue donc un groupe de renseignements, de sa propre initiative et à partir de ses relations. 

René heilig  Jules Leprince Henri thelot  Pierre baudri
 
Léon Duclos  Maurice richard 
 les marins du groupe Marland (de gauche à droite : René Heilig, Jules Leprince, Henri Thélot, Pierre Baudri, Léon Duclos et Maurice Richard      

 

 Très connu localement, il le fait avec une prudence et un savoir-faire qui lui permettront de tenir jusqu'à la veille de la Libération. Les deux "boîtes à lettres" (épicerie et bureau de tabac) - où il peut se rendre chaque jour sans éveiller la méfiance - reçoivent les messages d'agents dont les relations sont limitées et strictement cloisonnées. Dans ces messages sont décrites les unités allemandes cantonnées dans la région. Il faut identifier les unités (écussons, insignes, noms des officiers), évaluer leurs effectifs, décrire leur armement, situer leurs cantonnements, surveiller leurs exercices ... Rien de spectaculaire, pas d'action à la James Bond. Mais un travail de fourmi, un travail patient et tenace de collecte de renseignements qui, transmis en Angleterre, doivent permettre de connaître exactement le dispositif allemand, prévenir un éventuel débarquement en attendant d'en préparer un autre!

Juliette daumelJuliette Daumel

 

Si Granville n'a pas l'importance stratégique de Cherbourg, c'est le port de transit des hommes et du ravitaillement vers Jersey, occupé par une forte garnison. D'où l'intérêt porté au trafic portuaire et à la gare S.N.C.F. D'où la recherche de renseignements sur le dispositif allemand dans les îles Anglo-normandes.  

 

 A cette activité pionnière de renseignement s'ajoute l'aide à ceux qui sont pourchassés par l'occupant, non seulement les soldats anglais qui n'ont pu être rapatriés, mais aussi les soldats français démobilisés qui cherchent à fuir le stalag (camp de prisonniers de guerre).

 

Un témoin atteste :" Un mois après l'arrivée des Allemands, M. MARLAND avait mis en place un système de faux tickets et de fausses cartes pour permettre à certains de retourner chez eux...". Lui-même avait été "casé" à la mairie par M. MARLAND qui y avait d'autres complicités, particulièrement l'interprète d'allemand et le responsable des réquisitions et cantonnements pour l'occupant. Cette infiltration à la mairie - l'administration française restant en place en zone occupée de par la convention d'Armistice du 22 Juin 1940 - rendra nombre d'autres services plus tard.

 

Le rayon d'action du groupe s'étend au gré du déplacement de ses membres, comme le recrutement dépend des camaraderies professionnelles, des liens familiaux.Citons encore notre premier témoin, Yves Colin, ancien élève de M. MARLAND, alors âgé de 16 ans :

" En octobre 1940, je devins pensionnaire du Collège de St-Servan et M. MARLAND me demande, lors des vacances de la Toussaint, de lui adresser des renseignements sur Wehrmacht ( armée de terre) Luftwaffe (armée de l'air) et Kriegsmarine de la région malouine. (...) mon correspondant était le Dr vétérinaire Poulain, jadis camarade de promotion de mon père, qui pouvait remarquer "bien des choses" en campagne et était également inspecteur en douane et du port. Son fils Jean était mon condisciple en 1 ère. " pouvait se documenter éventuellement chaque jour. La transmission se faisait dans mes lettres à mes parents. je fournissait à ma mère un échantillonnage de tissus. Prix et métrage désignaient divisions et régiments, la couleur désignant l'arme. Lorsque je ne-pouvais coder un renseignement, je faisais allusion à ma collection de timbres et mes parents savaient trouver sous les timbres un fragment de papier à cigarette portant une précision. Servait également une grille de "combat naval" pré-rédigée dont les coordonnées désignaient bateaux, avions et véhicules terrestres..L'évocation des coordonnées se faisait en prénoms et en âges : B4 se traduisait "Bernard va avoir 4 ans".

Nous citons longuement ce témoignage car il est exemplaire par sa précision.  

Quelques mois plus tard, début 1941, aidé d'un jeune requis de l'organisation Todt (organisation chargée de la construction du mur de l'Atlantique), notre collégien transmet à Granville sur la consigne de M. MARLAND, les plans de l'aérodrome de Dinard ­ Pleurtuit au capitaine Guédon. Ce capitaine d'État-major, blessé en mai 1940, fut surpris par l'invasion alors qu'il était en convalescence à Granville. Résolu à faire quelque chose, il a monté un groupe dans l'été 40. Là encore en utilisant les liens familiaux, les camaraderies de lycée, les relations professionnelles... Il a rendu visite fin 1940 au colonel Heurtaux, chef des Services Spéciaux de l'armée d'Armistice ( en dehors de la flotte de guerre, petite armée dépourvue d'équipements lourds qui est laissée à Vichy par l'Armistice), qui l'a enrôlé dans le réseau.

Nés d'initiatives séparées, les deux groupes coopèrent sans se fondre. Probablement, à cette date, M. MAR LAND ne disposait pas de moyen pour faire parvenir à Londres les renseignements recueillis. D'où le recours à "Hector".

L'activité essentielle du réseau Hector sera tournée vers le renseignement, car au cours de l'automne-hiver 1940-1941, et en dépit des échecs de la Luftwaffe dans la Bataille d'Angleterre, les Allemands ne semblent pas avoir renoncé à l'invasion des îles britanniques. Il importe donc de tenir Londres au courant de ce qui se trame de l'autre côté de la Manche. Les mouvements de troupes sont soigneusement repérés, les positions des batteries de DCA relevées, les camps de munitions et les dépôts d'essence identifiés et parfois même photographiés. Des informations sont glanées sur les exercices de débarquement menés sur les côtes. Une attention toute particulière est accordée à l'activité des terrains d'aviation, tels celui de Carpiquet. Les informations sont transmises soit par un poste émetteur caché à Fontaine-Henry, soit à l'aide des pigeons voyageurs envoyés en Angleterre parRoger Falcoz-Vigne(36 ans en 1940, commerçant en matériel électronique. Domicile : Aunay-sur-Odon).

Source : http://sgmcaen.free.fr/resistance/reseau-hector.htm

Témoignage : 

 ...J'habitais 'le Fourneau' à Saint-Pair où les allemands avaient réquisitionné toutes les villas sur la côte (plus de mille soldats). Avec un copain, on transportait à vélo dans une remorque les valises des soldats qui arrivaient à la gare. On glanait des renseignements. Je transmettais tout à M. Marland.

 Au Fourneau, ils avaient construit une très grosse batterie de canons pour garder l'entrée du port ; tout ça était enterré. Avec mon jeune frère, on allait faire des courses pour les soldats  allemands ; au passage il comptait ses pas, on les mesurait ensuite. Un soir, j'ai fait un plan (ma mère est tombée dessus et m'a fichu une claque!) que j'ai confié à Mr. Marland le lendemain.

C'est fin 41 que j'ai compris que Monsieur Marland était dans le coup. Une fois il arriva chez nous, villa "Les myosotis" de très bonne heure avant la levée du couvre-feu. Il était couvert de boue, fatigué... II a demandé à rester quelques instants, il arrivait je crois de  Kairon. Une heure après, il était présent à son premier cours, rasé, impeccable avec son habituel nœud-papillon...

         Une seconde fois, de nuit, j'ai entendu courir. Il était minuit passé ; j'ai ouvert les volets. Il était dans le jardin, caché. Il m'a dit: "Tais-toi, couche-toi!". Je ne l'ai pas entendu repartir. Là, j'ai eu confirmation de  son rôle de résistant...

Témoignage recueilli en 1994

 Le groupe MARLAND, s'il "prête" ses agents, centre son action sur le renseignement alors que Guédon, en relation avec Henri Frenay - fondateur du MLN ( Mouvement de Libération Nationale) en zone non-occupée - diversifie ses activités. Granville est un lieu de réception et de diffusion du journal de Frenay "les Petites Ailes de France" (qui prendra en Août 41 le titre de " Résistance"). En Novembre 41, l'imprudence d'un agent transportant des journaux de Paris à Caen (il a sur lui une liste de noms !) entraîne le démantèlement du groupe, et notamment à Granville l'arrestation de Mlle Bindault qui sera déportée.Hector".

Le groupe MARLAND, probablement grâce à la spécialisation et au cloisonnement de ses activités, n'est pas touché par cette répression. Il faut remarquer qu'aucune imprudence de ce genre ne l'affectera, alors que l'arrestation, du fait d'une trahison, du responsable départemental du F.N (Front National pour la l'indépendance, mouvement créé par le Parti Communiste français) entraînera de nombreuses arrestations, notamment à Granville.

Pourtant le groupe MARLAND n'échappe pas à toute répression. Le 14 Juin 1941, M. MARLAND est arrêté et détenu 5 jours à St-Lô pour interrogatoire. Si les Allemands ont arrêté M. MARLAND sur dénonciation, ils n'ont rien pu établir contre lui.

 Le 19 janvier 1942, un marin du groupe, Guerrier, est arrêté à Saint-Malo et mourra en déportation au camp de Dora le 27 Février 1945. Là encore, la Gestapo n'a pu remonter la filière. Joseph guerrier

Guerrier Joseph. Né le 24 février 1889 à Ernée (53). Il est arrêté le 19 janvier 1942 à Saint- Malo alors qu’il travaillait sur un bateau assurant la liaison entre Saint-Malo, Granville et Jersey avec un groupe de marins appartenant au réseau Marland (Thelot, Duclos, Richard, Heilig). Il reste à la prison de Rennes jusqu’en juin 1942 (dernière correspondance de la prison de Rennes du 7 juin1942) puis est transféré à Fresnes. Il est déporté "NN" de Paris, gare de l'Est vers Hinzert le 11juillet 1942. Autres lieux de déportation: Wilhelmshaven , Wohlau, Gross-Rosen, Dora où il décède le 27 février 1945. Sur une correspondance du 17 mai 1942 (prison de Rennes) il dit être suspecté d'être agent Gaulliste et attend d'être jugé.

source : http://memoiredeguerre.pagesperso-orange.fr/deportation/53/deportes53jo.htm

Au cours de l'année 1941, malgré la surveillance, l'activité de renseignement a été poursuivie. Ainsi ont pu être transmis à Londres les plans des travaux allemands sur le Mont-Pinçon. Ce qui permit leur bombardement par la R.A.F. Divers dépôts d'essence de l'armée d'occupation ont été répertoriés et signalés. Des liens sont tissés avec d'autres groupes locaux, comme celui de Carolles.

En 1942, le groupe MARLAND est rattaché - sans qu'on en connaisse les voies - au réseau "BRUTUS". Le réseau "BRUTUS" est un réseau de renseignement constitué sous l'autorité du BCRA ( Bureau Central de Renseignement et d'Action, c'est-à-dire Services Secrets de la France Libre). Ses promoteurs sont issus du mouvement LIBERATION-NORD. Le mouvement LIBERATION-NORD fut le premier mouvement de Résistance fondé en zone occupée - et ce dès 1940 - par des militants syndicalistes et socialistes.    

 

Rappelons la distinction entre réseau et mouvement :

- Le réseau a une tâche purement militaire: renseignement, évasion, ...

- Le mouvement, plus large, a une action essentiellement politique, notamment par la confection et la diffusion de journaux clandestins.

Pour autant le groupe MARLAND garde son autonomie et entretient des relations avec d'autres mouvements de Résistance. A Granville, avec un groupe de résistants, notamment cheminots, dépendants du F.N., mais aussi à Bouillon avec le groupe Francolon lui aussi affilié au F.N. A la Haye-Pesnel, avec un responsable de groupe recruté par M. MARLAND, puis affilié à l'O.C.M. (Organisation Civile et Militaire).  C'est que, bien souvent, les affiliations à un mouvement ou à un réseau sont plus le fait des circonstances, des connaissances interpersonnelles que d'un choix réfléchi. Et encore les appartenances se chevauchent, les groupes s'interpénètrent sans que l'étiquette de celui dans lequel on a confiance ait grande importance. De plus les règles de sécurité, le cloisonnement indispensable, peuvent entraîner des actions parallèles qui, si elles ne s'ignorent pas, ne sont pas coordonnées. Ainsi existe aussi à Granville un petit groupe affilié au réseau Famille: F.2 (Réseau formé par des militaires polonais ayant combattu en France) qui collecte des renseignements sur les fortifications côtières et dont l'existence est attestée depuis 1942. Mais aussi, à Donville, est arrêté le 11 Novembre 1943 un industriel, Marcel Gayet, agent du groupe Résistance - Béarn, filiale du réseau "Marco - Polo" en relations directes avec le B.C.R.A. Déporté, il mourra à Mauthausen le 22 Avril 1945.Existent aussi des agents de l'O.R.A (Organisation de Résistance de l'Armée). 

 

Ce qui est sûr, c'est que M. MARLAND faisait fi des étiquettes. Rencontrant fin 43 un émissaire du B.C.R.A., il lui dit" ... avoir été sollicité par plusieurs mouvements... mais qu'il ne voulait point faire entrer dans son travail une question politique..."   Au tournant des années 1942-1943, la face de la guerre change : "La voici donc terminée, la première phase de cette guerre, celle où, devant l'assaut prémédité des agresseurs, reculait la faiblesse dispersée des démocraties"  (discours du général de GAULLE , 11 Novembre 1942 à l'Albert Hall de Londres).

 

Le 6 Novembre 1942, la défaite de Rommel est consommée à El Alamein. Le 8 Novembre 1942, des alliés débarquent en Afrique du Nord.Enfin et surtout, le 19 Novembre, les Russes lancent à Stalingrad une contre-offensive qui, en quelques semaines, va encercler et détruire la Vl ème armée allemande. La face de la guerre a changé mais, en même temps que l'espérance de la Libération grandit, les groupes de résistance doivent faire face à des tâches accrues. L'intensification de la guerre germano-russe accroît les exigences allemandes. Après avoir occupé la zone libre (11 Nov. 1942) ils obtiennent de Vichy l'instauration du S.T.O. (16 Février 1943).(S.T.O.: Service du Travail Obligatoire, qui requiert tous les hommes nés entre le 1erJanvier 1920 et le21 Décembre 1922 pour aller travailler en Allemagne).

 

Pour tous ces jeunes requis, il faut choisir : partir en Allemagne ou se cacher. Très nombreux sont les réfractaires au STO à qui il faut procurer faux-papiers et cartes de rationnement, trouver un hébergement.

Les membres du groupe MARLAND s'y emploient, trouvent des bonnes volontés dans les fermes d'alentour. Ainsi, par exemple, à la ferme" La France" (nom prédestiné!) à Trelly. Ceux de la mairie ont alors un rôle clé, malgré la répression. En mars 1943, l'interprète d'allemand est arrêté et détenu pendant 9 mois à la prison de Rouen. La perspective de l'ouverture d'un second front à l'ouest accroît l'importance des renseignements recueillis en France occupée. Citons Marcel Leclerc, membre de Libération-Nord, qui se fit l'historien de la Résistance dans la Manche: "C'est le 23 Mars 1943 que, semble-t-il, la première liaison directe par radio entre l'Angleterre et M. MARLAND fut établie par le message suivant adressé à "Max" alias "Robespierre" (M. MARLAND utilise aussi le pseudonyme de "professeur St-Jean", "de Guibray ".  "Diriger le maximum de votre activité pour déceler en détail avec plans les travaux établis sur la côte Est du Cotentin, de Carentan à Barfleur, et les ouvrages de soutien qui peuvent avoir été établis en arrière de cette ligne... "  Le secret de ces liaisons­radio est resté bien gardé. Les témoignages sont contradictoires. Ainsi, selon l'émissaire du B.C.R.A. ayant contacté M. MARLAND fin 1943: "... lui ayant demandé s'il avait un moyen rapide de passer les renseignements d'ordre militaire à Londres, il me dit non mais que le canal qu'il employait était sûr et qu'il se terminait à Caen". .Toujours est-il qu'en Mai 1943, il fait parvenir à Londres, par le réseau "BRUTUS", un rapport sur Granville et sa région, notant l'emplacement des défenses allemandes, le plan des blockhaus côtiers, l'identité des troupes stationnées depuis 1942. La réception de ce rapport est confirmée par un message radio-diffusé: 'Tous les regards sont fixés sur Milly". En Juin de la même année, long rapport sur les îles Anglo-normandes.

 

Mais, probablement en relation avec la traque des Anglais cachés, la Gestapo menace directement le groupe. En Février 1943, des agents ennemis tentent d'infiltrer le groupe à l'occasion du transfert d'un Écossais vers le Nord. Le sang-froid de Melle Legerrier à qui ils se présentent permet d'éventer la manœuvre.

Et le 18 juin 1943, M. MARLAND est arrêté à l'E.P.S. , dans sa classe...

23 fiche maurice marland  Acte d'accusation

Amené au Normandy-Hotel, siège de la Kommandantur et d'une antenne de la Gestapo, il est ensuite incarcéré à St-Lô avant d'être transféré à Caen, Rouen et enfin Fresnes. Selon Melle Daumel, l'épicière de la rue des Juifs, il fut confronté à Fresnes avec le capitaine Stanley dont nous avons parlé. Sans résultat. Sa persistance à nier, malgré les coups, et les précautions prises qui font que les Allemands n'ont rien de concret contre lui, les conduisent à le relâcher fin Septembre 1943. D'autant qu'il a pu faire passer une cicatrice à la gorge pour une plaie cancéreuse et obtenir une hospitalisation au centre de Villejuif. Entre temps, en Juillet, d'autres membres du groupe ont été arrêtés, puis relâchés faute de charges. 

Témoignage :

Arrestation du professeur Maurice MARLAND de l'E.P.S. Ferdinand Buisson par les allemands. Vendredi 18 juin 1943, Granville. 

Dans un après-midi de cette fin d'année scolaire 42/43, étant en cours avec lui, nous entendons des bruits de talons ferrés sur le carrelage du couloir, puis quelques frappements à la porte... qui s'ouvre et laisse apparaître Monsieur BERNARD et deux Feldgendarmes derrière lui ; notre professeur nous avait déjà lancé un regard avant l'apparition des visiteurs, et nous avions compris, pour la plupart d'entre nous.

Tous debout à nos tables, le directeur s'approcha alors de l'estrade ou était le bureau de notre professeur :

« Monsieur MARLAND ! ces messieurs ont affaire à vous !… »

« Bien! qu'ils attendent quelques instants.... »

Debout il nous adressa quelques mots, mots de réconfort surtout, qui se terminèrent par l'évocation discrète à la patrie... bien de lui en ces instants inoubliables pour nous ses élèves. Puis, l'un de nous, désigné prit provisoirement sa place pour assurer la surveillance de la classe, et lui, encadré des deux allemands,

il s'en alla en nous faisant un petit signe de la main, le directeur suivant quelques pas en arrière ; de nouveau, le bruit sinistre des bottes sur le carrelage..., puis la descente du grand escalier et la traversée de la longue cour pour atteindre la rue Clément - Desmaisons... 

Témoignage recueilli en 1994

 

Sabotage

 

Rentré à Granville M. MARLAND reprend sa tâche. Il semble bien qu'en réponse aux demandes de Londres il ait pu se procurer des renseignements sur les postes d'écoute et les rampes de lancement en construction dans le Nord du Cotentin. En tout cas, nous savons par des copies de messages qu'on lui demande des précisions sur ces installations.  En 1944, la transmission de renseignements, notamment sur les défenses de St-Malo, continue, mais une nouvelle dimension est donnée à la constitution de groupes d'action dans la perspective du débarquement allié.  Des actes spontanés de sabotage de matériel ou de dissimulation d'armes de guerre ont eu lieu très tôt.

 

En Novembre 1941, des ouvriers de la fonderie Legoupil, qui se sont vus confier des tâches par les Allemands - sont poursuivis pour avoir endommagé des machines à coups de marteau. De façon plus réfléchie, le chef d'atelier de la fonderie - membre du groupe MARLAND ­ a pu saboter efficacement en 1942 l'hélice du navire "Diamant" assurant des transports entre Granville et Jersey.En Octobre 1942, puis à nouveau en Novembre de la même année, le câble téléphonique allemand est coupé route d'Avranches à 4 km de Granville par des membres du groupe.

 

Encore en Janvier 1943, des lignes téléphoniques sont sabotées. Il s'agit de créer chez l'occupant un sentiment d'insécurité par des actions mesurées. M. MARLAND n'approuve pas une action de plus grande envergure, menée par le F.N. en Avril 1943, avec le sabotage du central téléphonique allemand de Granville. Surtout, il se consacre au renseignement.

 

 

 

Mais l'éventualité d'un débarquement allié, l'afflux des réfractaires au S.T.O., poussent à de nouvelles initiatives.  Fin 1942, M. MARLAND a pris contact avec le commandant Godard, ancien officier des troupes coloniales domicilié à Bréville et décidé à reprendre la lutte. Mais le manque d'armes, la configuration du terrain, la densité des troupes d'occupation ne sont pas favorables à l'action directe. Pourtant un groupe d'action est mis sur pied début 1944 qui, en Février,"montera un coup de main"sur la mairie de Lengronne pour se procurer des tickets de rationnement.  Le 6 Juin 1944, le débarquement allié sur la côte Est a été précédé de la mise en œuvre du "Plan Vert" (sabotage des voies ferrées).

Cdt godartLe Commandant Godard

Un petit groupe de marins de Granville fait partie de ceux qui y participent, coupant la ligne Paris-Granville. De même le "Plan Violet" (destruction des lignes de télécommunication, destruction ou inversion des panneaux indicateurs), est-il mis en oeuvre partout. On sait que ces actions de sabotage effectuées par la Résistance intérieure gêneront considérablement l'acheminement des renforts ennemis vers la Normandie. Ainsi, par exemple, les troupes stationnées en Bretagne perdront-elles beaucoup de temps avant de rejoindre le front.La mise en œuvre du "Plan Tortue" ( action généralisée de guérilla) est plus difficile pour des groupes peu nombreux et mal armés.

M. MARLAND est en relation suivie avec les groupes d'action de la région qui utiliseront leurs moyens limités pour semer l'insécurité sur les arrières de l'ennemi.A partir de la mi-juin, les groupes du Sud de la Manche sont principalement chargés de faire parvenir des renseignements sur le dispositif allemand. La mission "Helmsman", confiée au capitaine Hayes - "Eric" - parachuté à l'arrière du front, recrute des volontaires pour passer les lignes ennemies et renseigner les Américains.  M. MARLAND leur confie des messages.

Au cours de ce même mois de Juin, il est actif dans la constitution de groupes de la défense passive. ( protection et secours aux populations civiles) avec les membres de son groupe de résistance. Lors des bombardements, heureusement limités, qui affectent Granville, il porte secours aux victimes.  Comme il l'a toujours fait, il ne sépare pas actes de solidarité concrète avec ses concitoyens et lutte contre l'occupant.  

Granville 1944 Granville bombardements port Granville bombardements port 1944 2
Photographies des bombardements du port de Granville en 1944 (Archives départementales de la Manche)

 

Membres du groupe MARLAND, et ceux qui, à Granville et dans sa région, d'une manière ou d'une autre, l'ont aidé :  

M. Robert BARDON

M. DIGEE

M. René HEILlG

M. Jean MARIE

M. Pierre BAUDRI

M. Léon DUCLOS

M. Charles HUBERT

Mlle MATELOT

Mme BELLANGER

M. Roger DUTERTRE

M. Georges JOLLY

M. Constant MAUDUIT

M. Paul BERNARD

Mme ENGUEHARD

M. Roger JUMEL

Mrs. Jules et Emmanuel MENANT

M. et Mme BLEAS

M. Marcel ENOUF

M. Paul LEBAYON

M. Léon NICOLLE

M. Daniel Boursin

M. ESTER

M. LECHANOINE Robin

M. René NOURRY

M. Gustave CAMBRERNON

M. Edmond FINCK

Mme LEGERRIER Marie

M. Michel PESET

Mme CHASSE dite "AIMABLE"

M. Lucien FINCK

Dr LELIEVRE

M. Bernard POISSON

M. Yves COLIN

M. Cyril FONLUPT

M. Roger LEMESLE

M. Edmond POULAIN

Mme DAGOBERT

M. FRESNEY

Mme Denise LEPENNEC-JAFFRE

M. Maurice RICHARD

Mlle Juliette DAUMEL

M. Joseph GARNIER

M. Paul LEPLAT

M. Georges RONCERAY

M. Jean DELANOÊ

M. Raoul GAUDET

M. Jules LEPRINCE

M. Pierre SIMON

M. DELAUNAY

Mme GAUTIER

Mme Jeanne LEPRINCE

M. René STOESSEL

Mlles Emilie et Marie DESCHAMPS

Mme GENARD

M. Fernand LEROUX

M. Henri THELOT

M.J ules DESMONTS

M. Paul GODEL

M. LESCOUZERES

Mme Suzanne YBERT

Mlle DEVOSSE

 M. GUERRIER

M. Auguste MABIRE

M. Bernard YVON


 

Commentaires (3)

Gernigon Gérard
  • 1. Gernigon Gérard | 05/06/2019
Juste une petite remarque vous indiquez sur la dernière René Thélot en fait c'est Henri Thélot. (mon grand-oncle) très cordialement Gérard
Sophie Marland
  • 2. Sophie Marland | 30/05/2015
C'est très bien fait. Merci François au nom de notre grand père dont la mémoire ne doit pas se perdre
C'est notre précieux héritage!
Sophie
Brierre evelyne
  • 3. Brierre evelyne | 13/12/2014
Mon père a fait parti du groupe Marland et je le vois pas mentionné sur la liste, il était toujours avec Roger Dutertre et il m'a laissé des écrits.

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